PCR
Elle paraît tout émue
En quittant la clairière
Le panier à la main
(Mère-Grand a Alzheimer
Mais quand-même
On ne s’en va pas comme ça)
Elle a croisé le fer
Et les doigts, quand elle a vu
Le loup sortir du bois
Elle s’inquiète et prie
Qu’on lui rende son aïeule
En un seul morceau
Elle mord son poing de rage
Si Mère-Grand ne s’en sort pas
Ce sera pour sa pomme
Le soir chute
ainsi que mes paupières
bonne nuit, vaste monde
A un détour de couloir
Roulant des os et grinçant
Un spectre sale déboule
A Asli Erdogan
Le bâtiment de pierre
s’est enfin ouvert aujourd’hui
alors que je finissais de le lire
Avant la Féline
On attend des heures
pour croquer un passant
Misère! Cesse donc de bouger
Empreintes
Empreintes de pas
Tout le long du rivage
Parfum d’exil
Dédale, Actéon et Cie
De A à Z, quelques figures mythologiques réunies ici :
Petit palimpseste (suite)
Hypocrite lecteur – mon semblable – mon frère
(Charles Baudelaire. Au lecteur in Les fleurs du mal)
Je t’ai longtemps attendu. J’avais peur que tu ne viennes pas, que je t’attende en vain, perdu au milieu de la fournaise des souvenirs, à l’aube de la mort, sans assurance d’avoir été, un jour seulement, lu. Mais tu es venu et je t’ai reçu comme un présent riche et doux. Tu m’as prêté une oreille bienveillante et j’ai lu dans tes yeux toute la suavité d’un monde à naître.
Et puis les mois ont tourné laborieusement leur page et tu es resté là, fidèlement. Je t’ai demandé tant de fois les encouragements et les bravos de l’enfant qui fait ses premiers pas. Et chaque fois tu y as répondu. Et jamais je n’ai eu un soupçon, jamais je n’ai demandé de preuves de cette loyauté sans failles.
Mais il est tout de même venu le jour où j’ai décelé le compliment aléatoire, la voix atone de l’automate qui récite son éloge. Alors seulement j’ai regardé autour de moi pour crier ma colère. Mais autour de moi il n’y avait personne depuis longtemps. Il ne restait que toi depuis le début. Et tu dormais, épuisé, la tête affaissée, mes brouillons encore en main.
Alors je t’ai chassé, ivre de colère. Et j’ai mis sur ta tête tous mes dépits de n’être pas Charles Baudelaire. J’ai parcouru durant six mois les couloirs de mon scriptorium en pestant après ta trahison.
D’autres mois ont passé durant lesquels je n’ai pas écrit de poèmes immortels, durant lesquels je n’ai pas composé de ballades à l’amour idéal. Je n’ai pas non plus rivalisé avec La condition humaine. Bref, je n’ai mérité ni louange ni blâme pour ma grande et lisse et blanche page muette. Et quand je me suis retourné pour te demander ce que tu pensais de ce que je n’avais pas écrit, j’ai constaté avec beaucoup de retard, que tu n’étais pas là.
Alors, je me suis retrouvé seul à lire les poèmes que je n’avais pas eu le don d’écrire. Seul à louer l’absence flagrante de mouvements et de péripéties dans ce non-roman absolu. Et dans cette recherche du temps perdu, au cours de laquelle j’ai longtemps arpenté mes manuscrits, dans l’espoir de t’y trouver, toi qui en étais un des seuls visiteurs, j’ai senti ma conscience se diluer : les paupières qui papillonnent, la nuque qui ploie et s’incline. Le monde vacille un instant puis bascule tout-à-fait dans les ombres.
Je me suis doucement rendu compte alors que je t’avais donné une tâche lourde, si lourde, une tâche que moi-même je n’arrivais pas à accomplir sans somnoler : me lire ! Grâce à toi et à ta défection j’avais trouvé un moyen infaillible de me réconcilier avec toi : en t’imitant et en m’endormant sur mes lauriers. Le sommeil, le sommeil enfin, intense et réparateur.
Après cela, il me suffirait d’arrêter d’écrire et me remettre à boire pour recouvrer la santé et la vie sociale.